"Ce n’est pas à moi, je ne suis pas cela, ce n’est pas mon soi."
- Bouddha

Comment l’identification nourrit la souffrance?

Par Martin Jutras

Le Bouddha enseigne que l’identification crée une illusion de possession et de contrôle. C’est ce mécanisme subtil qui entretient attachement, peur et souffrance.

Dans les enseignements du Bouddha, l’identification est un processus mental par lequel on s’approprie ce qui est impermanent: corps, sensations, pensées, relations, idées, objets ou statuts. On ne s’identifie pas seulement à un "moi" psychologique, mais à tout ce que l’on considère comme "moi" ou "mien". Cette saisie mentale devient une source constante de tension.

Ce mécanisme se manifeste par des pensées comme: "je suis ceci", "c’est à moi", "je veux cela", "je ne supporte pas qu’on me prenne ça". On peut s’identifier à son corps, à son intelligence, à son travail, à sa famille, à son passé, à une opinion ou même à une croyance spirituelle. L’identification donne l’illusion d’un contrôle et d’une sécurité, mais elle nous attache à ce qui, par nature, change ou échappe.

Selon le Bouddha, cette vue erronée — appelée sakkāya-diṭṭhi — est l’une des premières chaînes à briser pour sortir du cycle de la souffrance. Tant qu’on croit qu’un phénomène extérieur ou intérieur peut vraiment nous appartenir ou nous définir, on vit dans l’inquiétude, la jalousie, la peur de perdre ou le besoin de défendre quelque chose. Ainsi, l’identification est un des piliers du désir et de l’attachement.

"[L'identification] est à la source de nombreuses souffrances, car elle crée un attachement artificiel à ce qui est impermanent."

Quand on dit: "mon opinion", "ma maison", "mon statut", on confond des objets ou des rôles passagers avec une identité durable. Cela crée une instabilité: si quelqu’un critique notre idée, c’est "nous" qu’il attaque. Si on perd un objet ou une relation, c’est "notre" valeur qui semble diminuée. L’identification transforme la réalité mouvante en source de souffrance personnelle.

Le Bouddha invite à observer ces phénomènes avec clarté: tout ce qui naît est soumis au changement, et rien ne peut être possédé durablement. En répétant: "ceci n’est pas à moi, je ne suis pas cela, ce n’est pas mon soi", on commence à relâcher cette tension intérieure. Il ne s’agit pas de rejeter les choses, mais de ne plus les confondre avec soi-même.

La désidentification n’est pas une perte, mais une libération. Elle permet de vivre les relations, les possessions ou les rôles avec légèreté, sans en faire une prison mentale. Ce regard transforme la manière dont on traverse la vie. Là où l’on croyait devoir tout défendre, on découvre qu’on peut simplement être, sans s’approprier. Et c’est dans ce lâcher-prise que naît une forme de paix profonde.

En résumé

L’identification ne concerne pas uniquement le “moi”, mais tout ce que l’on croit posséder ou être. Elle est à la source de nombreuses souffrances, car elle crée un attachement artificiel à ce qui est impermanent. En observant les choses sans s’y coller, comme le propose le Bouddha, on apprend à vivre sans s’approprier, et à goûter à une liberté qui ne dépend d’aucun objet, rôle ou idée. Car s’identifier à ce qui est créé, c’est inévitablement s’exposer à la perte, au changement… et donc à la souffrance.

Mise en Pratique

  • Observer les phrases d’appropriation: Chaque fois que vous pensez "mon" ou "je suis", demandez-vous: "Est-ce vraiment moi? Cela m’appartient-il vraiment?" Ce simple recul peut tout changer.
  • Prendre du recul face aux rôles: Remarquez comment vous vous définissez par votre travail, votre position ou vos relations. Puis demandez: "Suis-je cela en essence?" L’identification commence à se relâcher.
  • S’entraîner au détachement bienveillant: Choisissez un objet personnel auquel vous tenez. Observez ce qu’il représente pour vous, puis imaginez qu’il ne vous appartient plus. Que reste-t-il de vous?

Le Saviez-vous?

Dans certains suttas, le Bouddha expliquait que même l’attachement à la “voie spirituelle” pouvait devenir une forme d’identification subtile. Il enseignait à ne pas s’attacher aux méthodes, aux rites ou aux concepts, y compris ceux du Dharma, afin de ne pas transformer la libération en une nouvelle prison.