"Ne te laisse pas tromper par ce que tu vois, entends ou ressens: tout cela n’est qu’apparence conditionnée."- Bouddha
Les expériences de sortie hors du corps fascinent depuis des siècles. Le bouddhisme originel en parle aussi, mais d’un point de vue bien différent.
Une "sortie hors du corps" (aussi appelée projection astrale ou voyage astral) désigne un état dans lequel une personne projette sa conscience à l’extérieur de son corps physique. Elle perçoit alors son propre corps depuis l’extérieur ou se déplace dans d’autres lieux, tout en restant consciente d’exister en dehors de son enveloppe corporelle. Cette projection de la conscience peut survenir spontanément (à la suite d’un accident, d’un choc émotionnel, pendant le sommeil) ou lors de pratiques méditatives avancées. Ces expériences sont souvent décrites comme très réalistes, marquantes, et parfois transformatrices pour ceux qui les vivent.
Dans le bouddhisme originel, bien que le terme "sortie hors du corps" ne soit jamais utilisé tel quel, des expériences similaires sont bel et bien décrites dans les textes anciens, notamment dans les recueils du Majjhima Nikāya et du Dīgha Nikāya. Ces descriptions apparaissent dans le cadre des capacités mentales exceptionnelles développées par certains méditants expérimentés, appelées iddhi.
Ces pouvoirs incluent la capacité à "se déplacer dans les airs", à "passer à travers les murs", ou encore à "projeter un corps subtil semblable à une image réfléchie dans un miroir". Le texte du Mahāsīhanāda Sutta décrit un moine qui "déploie un corps mental, fait de perception, libre de la matière physique, capable de parcourir des distances". Bien que cela ressemble à une sortie hors du corps, le Bouddha ne les présente jamais comme un but en soi.
Le Bouddha enseignait que ces expériences sont le fruit de jhānas profonds — des états de concentration très avancée. Elles sont possibles lorsque l’esprit est libéré des attachements sensoriels et que la conscience devient extrêmement raffinée. Dans cet état, la perception du corps peut disparaître, ou sembler se dissocier. Mais cette dissociation n’est pas interprétée comme une preuve de dualité entre un "soi" et un "corps": c’est simplement une manifestation mentale conditionnée.
Le danger, selon le Bouddha, réside dans l’identification à ces expériences. Fasciné par leur intensité ou leur étrangeté, le pratiquant peut en venir à les rechercher, à s’y attacher ou à y voir un signe d’éveil. Or, comme le souligne le Kevatta Sutta, ce genre d’expériences ne mène pas à la fin de la souffrance. Elles peuvent renforcer l’ego subtil, ou détourner de la vraie voie qui consiste à comprendre l’impermanence, la souffrance et le non-soi de tous les phénomènes.
Il est aussi important de noter que ces capacités apparaissent uniquement chez des méditants qui ont déjà atteint un très haut niveau de discipline mentale. Elles ne sont ni enseignées, ni encouragées. Dans plusieurs suttas, le Bouddha reproche même à ses disciples de parler de ces expériences en public, de peur qu’elles ne détournent les gens de l’essentiel.
Ainsi, si le bouddhisme originel reconnaît l’existence d’expériences similaires aux sorties hors du corps, il les replace toujours dans un cadre précis: celui des phénomènes mentaux conditionnés. Elles sont possibles, parfois spectaculaires, mais sans valeur spirituelle propre si elles ne s’accompagnent pas d’une compréhension profonde de la réalité.
Ce que le Bouddha propose, c’est un regard lucide: observer toute expérience — même les plus extraordinaires — comme impermanente, insatisfaisante, et sans substance propre. C’est cette vision qui mène à la liberté, pas la recherche de phénomènes paranormaux.
Le bouddhisme originel reconnaît l’existence d’expériences comparables aux sorties hors du corps, surtout dans les états méditatifs avancés. Mais elles sont considérées comme des phénomènes mentaux conditionnés, impermanents et sans essence. Elles ne sont pas recherchées, et le pratiquant est invité à ne pas s’y attacher, ni à les confondre avec un signe d’éveil.
Le Kevatta Sutta rapporte qu’un moine, après avoir utilisé des pouvoirs pour rechercher une réponse dans les mondes supérieurs, revient déçu. Le Bouddha lui explique que la sagesse véritable ne s’obtient pas par des voyages mystiques, mais par l’observation directe de l’esprit ici et maintenant.